| L’on parle beaucoup en ce moment de la réduction des allocations familiales et de la suppression de la carte « Famille Nombreuse », or cela me peine car j’ai plein de souvenirs qui se rapportent à ces deux institutions. En effet je suis né dans une de ces familles nombreuses comme il y en avait pléthore à l’époque. Ma maman avait déjà œuvré cinq fois avant moi ; elle avait eu d’un premier mariage deux filles dont l’une est décédée en bas âge par manque de lait durant l’été 1943. Ne restait donc que ma sœur Josiane et à son retour d’Allemagne où il était prisonnier mon papa l’a épousé et donné trois beaux garçons, Jean-Claude, Hervé et Yvon.
  Avant que ne s’annonce la cinquième bouche à nourrir, votre serviteur. Bien entendu, l’on ne m’attendait pas et en attendant ma venue on s’était pris (surtout ma sœur aînée) à espérer une fille. La déception de voir un autre mâle arrivé ne dura pas longtemps et je fus, comme mes frères et sœur, entourés d’amour et de protection. Mais cinq enfants avec une seule paye d’ajusteur outilleur ne permettait de survivre qu’au prix de nombreux efforts. Aussi l’arrivée chaque mois ( ou trimestre, je m’en souviens mal ) du payeur des « Allocations familiales » était un grand moment de soulagement pour ma mère qui gérait la répartition des maigres revenus de la maisonnée. Je me souviens encore très bien de ce « bonhomme » ! Je dis bien bonhomme mais ce n’est pas péjoratif, cela est pris dans le sens étymologique du mot : Homme bon, capable de bonté. Il arrivait avec sa sacoche sur l’épaule, ressemblant à une besace de chasseur, qui était attachée par une chaînette à son poignet droit. De nos jours cela n’arrêterait aucun voleur, mais en ces années 60 la délinquance était moins répandue qu’aujourd’hui, peut-être parce qu’en ce temps, l’on ne volait pas aux pauvres ! Quand il s’installait à la table de la salle à manger nous l’entourions avec respect en attendant le moment fatidique… la remise des billets à ma mère ! Et alors il se mettait à compter et recompter les coupures de la monnaie nationale.    Je me souviens surtout, et il me semble l’entendre encore aujourd’hui, du claquement sec de ses doigts, mêlé au craquement du papier monnaie, qu’il recommençait et recommençait jusqu'à être sur d’avoir le compte exact. Je me souviens aussi des yeux de ma mère où perlaient parfois quelques larmes de bonheur lorsque la fin de mois avait commencé bien plus tôt que prévu. Dans mon regard d’enfant, cet homme, ce petit homme rondouillard au crâne plus que dégarni était le cousin du Père-Noël (qui d’ailleurs était bien moins dispendieux à l’époque !) En ce qui concerne la carte « Famille nombreuse », les souvenirs sont légion ! Il faut d’abord savoir que mes parents était des parents modèles, strict quand il le fallait, nous apprenant le respect d’autrui et l’honnêteté ainsi que d’autres grandes valeurs humaines, mais aussi et surtout dévoué à l’éducation de leurs cinq enfants (mon père ayant toujours considéré Josiane comme sa fille et réciproquement.) Ils se privaient de bien des choses (à commencer par toutes les futilités qui paraissent usuelles maintenant) pour que nous soyons toujours correctement nourris, habillés et en bonne santé. La principale chose qu’ils nous ont offerte, c’est les « vacances au bord de la mer. » Après bien des comptes et des sacrifices mes parents avaient pris « à l’année » une location en Normandie et pour amortir l’investissement nous allions à chaque vacance, excepté quelques vacances de Noël où le froid était rédhibitoire, passer quelques temps à Bernières sur mer dans le Calvados.  Or pour se rendre en ces lieux lointains, le seul le chemin de fer était notre moyen de transport obligé et c’est là que cette fameuse carte intervient nous permettant de belles économies sur le transport et nous offrant par-là même quelque menue monnaie d’argent de poche lors des grandes vacances. De plus, mon père restant à Paris pour gagner notre pitance en se rendant à l’usine tous les jours en vélo comme dans le sketch de Coluche, il venait le samedi pour le week-end, par « le train des cocus » comme il l’appelait lui-même par dérision, en bénéficiant toujours de cette carte.
 Je me souviens aussi d’une paire de chaussures que je désirai ardemment dans le début des années 70. C’était un genre de Weston avec des talons hauts comme en portait Mike Brandt ou Claude François qui s’accorderait parfaitement à mon pantalon de « clown » comme disait mon père et à ma chemise chocolat cintrée à l’extrême avec son grand col « pelle à tarte. » Mon père m’avait accompagné chez le marchand de chaussures (ils n’étaient pas encore tous rattachés à une marque définie) de la Porte Montmartre et au moment de payer, il avait sortit cette fameuse carte afin que le marchand lui fasse une réduction, ce qu’il fit sans bigorner d’aucune façon. Tout cela pour dire qu’en abolissant ces deux institutions Monsieur le président vous enlevez plus que quelques « Euros », vous volez les rêves à venir de bien des enfants...
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